La Sidi-Brahim

Pourquoi les Chasseurs ont-ils choisi de célébrer un combat malheureux et, d'un jour de deuil, voulu faire leur jour de fête ?

Ce qu'ils célèbrent, ce n'est évidemment pas l'issue tragique de la lutte, mais le courage et l'abnégation d'hommes qui se sont battus farouchement contre tout espoir et même contre toute raison, par fidélité à une certaine image de marque, par fidélité à une mission, à leurs chefs, à leurs camarades, finalement par fidélité à eux-mêmes.

Tableau de 1859 représentant un carré chasseur de la Bataille de Sidi-Brahim © CENTAC-1BCP

Pourquoi Sidi-Brahim ?

Ce qui frappe dans ce combat c'est le parallélisme de comportement entre les cadres et les chasseurs : attitude du capitaine de Géreaux et du caporal Lavayssière face à la sommation de se rendre ; attitude du capitaine Dutertre et du clairon Rolland face aux menaces de mort.

Ces attitudes dénotent bien l'existence d'un « esprit » qui dicte des comportements semblables.

C'est cette fidélité à ce que l'on veut être qui explique que tant d'autres Chasseurs, depuis Sidi-Brahim, aient mis leur point d'honneur à combattre jusqu'au dernier souffle « pour la victoire et le sacrifice ».

Car c'est essentiellement dans l'épreuve que se révèlent la valeur des individus et la qualité des semblables qu'ils ont su forger dans un esprit commun.

Représentation de la Bataille de Sidi-Brahim avec partition

Sidi-Brahim

23-24-25 septembre 1845

En avant brave bataillon Jaloux

de notre indépendance Si l'ennemi

vers nous s'avance Marchons, marchons, marchons

Mort aux ennemis de la

France

Sidi-Brahim

23-24-25 septembre 1845

En avant brave bataillon Jaloux

de notre indépendance Si l'ennemi

vers nous s'avance Marchons, marchons, marchons

Mort aux ennemis de la

France

Les prémices

Les combats de Sidi-Brahim s'inscrivent dans la série d'affrontements militaires réguliers, de plus ou moins grande ampleur, entre la France et Abd El Kader (1808-1883), proclamé sultan (il préféra le titre d'émir) le 22 novembre 1832 par une assemblée des tribus après que son père eût déclaré le djihad, la guerre sainte, contre les envahisseurs français.

Depuis la prise de la smala en mai 1843, la situation à la frontière algéro-marocaine était très tendue du fait de la présence d'Abd El Kader dans ce secteur et aussi en raison de la pression mise par le gouvernement britannique sur le sultan du Maroc pour résister aux ambitions de la France en Algérie. Cela conduisit le Général Bugeaud à prendre la tête d'une colonne qui arriva le 12 juin 1844 à Lalla-Maghnia, où avait été signé en mars un traité fixant les limites de la frontière entre l'Algérie et le Maroc, et poursuivit sa route jusqu'à Oudja, au Maroc qu'elle occupa et d'où elle s'élança pour remporter la bataille de l'Isly le 16 août 1844.

En avril 1845, le maréchal Bugeaud s'était déplacé à Djemma-Ghazaouet, pour faire « sentir avec force, combien il pouvait être dangereux d’aller livrer des combats au dehors, ainsi qu’il en manifestait l’intention. ». Dans un courrier du 20 septembre 1845, Cavaignac rappela au lieutenant-colonel de Montagnac, de redoubler de surveillance et lui confirma l’ordre expressément donné par Bugeaud qui lui interdisait d’effectuer une opération à l’extérieur de la place.

Cette lettre fut interprétée par de Montagnac comme un reproche à son encontre et, de nature impulsive, il en conçut une vive irritation, d'autant que, selon le général Paul Azan, ses relations avec Cavaignac étaient mauvaises car il ne le trouvait pas assez ferme.

L'emballement

Outre cette correspondance mal interprétée, le lieutenant-colonel de Montagnac se trouva sous la pression de plusieurs événements qui précipitèrent sa décision. Parmi ceux-ci les actes de l'émir Abd El Kader, du Maroc où il s'était réfugié après la défaite de l'Isly en 1844, qui avait entrepris de soulever les tribus algériennes, dont beaucoup s'étaient déjà ralliées aux français.

Le 10 septembre, de Montagnac partit même en reconnaissance du côté de Sidi-Brahim avec une escorte d'une soixantaine de hussards. Mais la mission ne remarqua rien de particulier.

Le 19 septembre au soir, le caïd de la tribu des Souhalias, Mohammed Ben Trari, qui avait la confiance de Montagnac, était venu lui demander sa protection en raison du projet d'Abd El Kader de razzier sa tribu. De Montagnac avait ordonné une reconnaissance, mais n'avait pas bougé.

Le 21, la demande du caïd se faisant plus pressante, de Montagnac quitte Djemma-Ghazaouet à la tête d'une petite colonne composée de 60 cavaliers du 2e régiment de hussards et 350 chasseurs du 8e chasseurs d'Orléans.

La mort de Montagnac

Le 22 au matin, Trari orienta de Montagnac vers le sud et un campement fut installé vers 13h le long de la piste en plein bled. À ce moment, quelques cavaliers arabes sont visibles sur les crêtes ; les premiers coups de feu sont échangés.

Le 23, à l'aube, de Montagnac décide de se porter vers les cavaliers ennemis aperçus la veille avec une partie du 8e d'Orléans. Ils font 4 km vers l'ouest et c'est le drame. Surgissant des crêtes environnantes, 5 à 6000 cavaliers arabes, menés par l'émir lui-même, fondent sur la petite colonne. Les hussards chargent mais les cavaliers sont submergés et bientôt anéantis.

Les trois compagnies de chasseurs forment le carré et font face. Au milieu d'elles, de Montagnac est parmi les premiers à être mortellement blessé, il succombera de ses blessures peu de temps après. La lutte va durer 3 heures puis les unités du 8e d'Orléans succombent sous le nombre et sont massacrés.

« Enfants, laissez-moi ! Mon compte est réglé, défendez-vous jusqu'au bout ! »

Colonel de Montagnac

  • Défense de la kouba de Sidi-Brahim

Anéantissement des renforts

Pendant que de Montagnac et ses hommes se défendent ardemment, le commandant Froment-Coste, resté pour commander le bivouac, est averti de la situation. Il se précipite alors avec la 2e compagnie vers le combat situé à 4 kilomètres. Il ne fera que 2 kilomètres. Les arabes, qui ont vu le mouvement, l'interceptent et l'assaillent de toute part. Froment-Coste est tué.

Le capitaine Dutertre reprend le commandement et insuffle un regain de vigueur à la petite troupe assaillie de toutes parts. Blessé à trois reprises, il est finalement fait prisonnier. Bientôt il ne reste qu'une douzaine de chasseurs que l'adjudant Thomas, au moment de tomber aux mains de l'ennemi, exhorte à se battre jusqu'au bout.

Le capitaine de Géreaux, qui a la responsabilité du bivouac depuis le départ du commandant, après un vain essai de se porter au secours de ses compagnons, assiste impuissant à la lutte désespérée.

À 1 km de là, se dresse le petit édifice de la kouba du marabout de Sidi-Brahim. C'est là que le capitaine de Géreaux décide de s'installer pour se battre, en attendant les secours. Il rameute alors le reste de la compagnie, les trois escouades de la 3e compagnie et le caporal Lavayssière, qui sont à la garde du troupeau et des bagages, soit environ 80 fusils.

La défense de la kouba

Le mouvement est rapidement exécuté, dans la chaleur accablante de ce début d'après-midi. Il n'échappe pas à Abd El Kader dans cette grande plaine rase. L'émir pense qu'il va facilement écraser le reste de la colonne française mais il va se heurter pendant trois nuits à la résistance des 80 chasseurs du marabout de Sidi-Brahim.

Dans l'après-midi du 23 septembre, les arabes sont en masse autour de la kouba... et c'est le siège. Les assauts des troupes de l'émir se succèdent. Les vivres et les munitions s'épuisent. Sous le soleil torride, l'eau manque rapidement mais les chasseurs ne cèdent pas.

Dès le début, le capitaine de Géreaux a fait confectionner un drapeau tricolore de fortune avec un morceau de la ceinture bleu-cerise du lieutenant de Chappedelaine, de la cravate bleue du caporal Lavayssière et un  mouchoir blanc. Cela dans le but d'attirer l'attention de la colonne du 10e bataillon de chasseurs d'Orléans qui opère non loin de là. Non sans attirer le feu de l'ennemi, Lavayssière, aidé du chasseur Strapponi, hisse le drapeau au sommet d'un figuier qui se dresse près du marabout... Et là, dans la lunette qu'il a empruntée au capitaine de Géreaux, il voit la colonne, attaquée à son tour, s'éloigner dans la plaine.

Les arabes vont tout faire pour faire céder la résistance inattendue que leur opposent les chasseurs de Sidi-Brahim.

Illustration de la défense de la kouba à Sidi-Brahim

EN

AVANT

LES CHASSEURS

EN

AVANT

LES CHASSEURS

La résistance

Par trois fois, l'émir Abd El Kader somme les chasseurs de se rendre. À la première sommation, de Géreaux répond que ses chasseurs et lui préfèrent mourir. À la seconde, assortie de menaces contre les prisonniers, il répond encore que ses chasseurs et lui sont à la garde de Dieu et attendent l'ennemi de pied ferle.

À la troisième, de Géreaux, blessé, épuisé, ne peut répondre lui-même. Le caporal Layssière s'en charge :

« Merde pour Abd El Kader ! Les chasseurs d'Orléans se font tuer mais ne se rendent jamais ! »

Caporal Lavayssière

  • Marabout de Sidi-Brahim

Après les sommations viennent les menaces et bientôt les sévices. C'est d'abord le capitaine Dutertre, fait prisonnier le 23, qui, amené devant la murette, crie à ses camarades :

« Chasseurs, si vous ne vous rendez pas, on va me couper la tête. Moi je vous dis, faites-vous tuer jusqu'au dernier plutôt que de vous rendre. »

CNE Dutertre

  • Devant la kouba de Sidi-Brahim

Quelques minutes plus tard, suprême intimidation, sa tête tranchée est promenée par les arabes autour de la kouba, bien en vue des défenseurs.

Ce sont alors les prisonniers des combats précédents qui sont traînés de même, les mains liées, pour ébranler la détermination des hommes de de Géreaux. « Couchez-vous ! » hurle Lavayssière qui fait aussitôt déclencher une fusillade sur l'escorte d'Abd El Kader qui se trouvait à proximité et est lui-même blessé à l'oreille.

Enfin c'est le clairon Rolland, lui-même aux mains de l'ennemi, qui reçoit l'ordre, menacé de mort, de sonner « la retraite ». Il s'avance et vient, à pleins poumons sonner « la charge ».

Les jours passent, la résistance ne faiblit pas. L'émir décide de faire le blocus du marabout espérant que la faim et la soif aura raison de la résistance des chasseurs.

La sortie

De Géreaux, de plus en plus affaibli mais qui a gardé la tête froide et le commandement, se rend compte que la situation ne peut plus durer et que les renforts n'arriveront pas. Il décide de percer et d'essayer de regagner Djemaa Ghazaouet, à près de 15 kilomètres.

Le caporal Lavayssière qui, depuis le début, s'est révélé un homme d'action exceptionnel, prendra le commandement du détachement. Les officiers, de Géreaux, Chappedelaine, tous deux blessés ne sont plus en état d'assurer cette mission.

Le 26 septembre, à l'aube, la face nord de la kouba est escaladée, les petits postes arabes complètement surpris sont bousculés et, formé en carré, les blessés au centre, le détachement se met en marche dans la plaine sous le soleil qui monte. L'épreuve va durer toute la journée. L'issue douloureuse de cette marché héroïque et épuisante connaîtra un dénouement tragique dans le lit de l'oued Mersa, à 2 kilomètres de Djemaa Ghazaouet (Nemours). Le capitaine de Géreaux lance un assaut à la baïonnette où il succombe avec le lieutenant de Chappedelaine.

Dans la journée du 26 et les jours qui suivent, quelques rescapés de la colonne de Montagnac parviendront à rejoindre Djemaa Ghazaouet.

La postérité

16 hommes épuisés, harassés, blessés sont recueillis par la garnison venue à leur rencontre : le caporal Lavayssière, 14 chasseurs et le hussard Nataly. Plusieurs succomberont à leur épuisement et leurs blessures.

Dès le début, le nom de Sidi-Brahim connut un retentissement extraordinaire. Ce qui frappa, ce fut la volonté collective, la cohésion de cette troupe, l'accord intime et la communauté de réaction des cadres et des chasseurs dans leur farouche résistance à la faim, à la soif, à la chaleur, aux menaces, témoignant d'un état d'esprit bientôt connu comme « l'esprit chasseur ».

Ce fut aussi l'extraordinaire autorité d'un simple caporal, bel exemple pour ses successeurs, détonant la qualité d'une instruction et d'une formation morale : « le style chasseur ».

Les restes des héros de Sidi-Brahim furent rassemblés en 1899 à Djemaa Ghazaouet (Nemours) dans le « Tombeau des Braves ». Ils furent ramenés en France en 1962 et déposés dans le musée des chasseurs au Vieux fort de Vincennes en 1965. Ils reposent depuis 1995 dans le Tombeau des Braves au château de Vincennes (crypte du pavillon du Roi).

La Sidi-Brahim est traditionnellement célébrée entre le 21 et le 25 septembre de chaque année et notamment lors des journées Bleu-Jonquille à Vincennes où les différents corps de chasseurs et l'escadron du 2e régiment de hussards se retrouvent pour la cérémonie de transfert du seul et unique drapeau des chasseurs d'une unité à l'autre.

Le Clairon Rolland est fait chevalier de la Légion d'Honneur

Fêtes de Lacalm du 31 Août 1913

Le Général de CASTELNAU fait le Clairon ROLLAND Officier de la Légion d'Honneur

Fêtes de Lacalm du 31 Août 1913

Le Général de CASTELNAU fait le Clairon ROLLAND Officier de la Légion d'Honneur

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