Fiche 1 : Balkans, la guerre en Croatie-Bosnie (1991-1995), les limites de l'interposition
Analyser les enjeux de l’implication française dans la guerre en ex-Yougoslavie suppose d’abord de réfléchir aux différentes temporalités constituant le substrat du conflit. En effet, le poids de l’histoire et, surtout, des interprétations qui en sont faites par les acteurs locaux mais aussi extérieurs, est un élément-clé de son étude.
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Fiche 1 : Balkans, la guerre en Croatie-Bosnie (1991-1995), les limites de l'interpositionLa temporalité la plus longue explique la diversité culturelle, et notamment religieuse, des Balkans occidentaux. Mêlant des populations chrétiennes (orthodoxes et catholiques) à d’autres musulmanes (issues de la conquête d’une partie de la région par l’empire ottoman aux XIVe-XVe siècles), elle accueillit également des communautés juives chassées de l’Espagne et du Portugal à la fin du XVe siècle.
Pour Jasmin IMAMOVIC, c'est cette diversité religieuse vécue dans la cordialité qui forme la spécificité d’une entité comme la Bosnie-Herzégovine, les guerres intercommunautaires étant toujours, selon l’auteur, le produit de conflits importés. Une deuxième temporalité, moyenne, permet de saisir le problème de la construction étatique, élément déclencheur du conflit du début des années 1990. Les pays qui forment l’ex-Yougoslavie appartiennent à des ensembles politiques qui n’ont pas permis l’émergence au même rythme d’États constitués : au cours du XIXe siècle, certains connaissent des processus d’émancipation dans le contexte plus large du mouvement des nationalités en Europe mais seule la Serbie parvient à l’indépendance et constitue une principauté, pleinement reconnue en 1878. Toutefois, un courant favorable à l’unité des Slaves du Sud se développe durant ces décennies, qui obtient gain de cause lors de la recomposition géopolitique de l’Europe au lendemain de la Première Guerre mondiale grâce à l’effondrement des Empires centraux. En 1918, un « Royaume des Serbes, Croates et Slovènes » voit le jour, renommé Yougoslavie en 1929.
Toutefois, loin de réaliser pleinement l’unité attendue, il reste dominé par des rivalités ethniques, particulièrement entre Serbes et Croates. Celles-ci culminent lors de la dictature des Oustachis croates qui obtiennent d’Hitler une indépendance de nom plutôt que de fait. Devenu satellite du IIIe Reich, le régime croate appuie la politique génocidaire nazie en direction des populations slave (Serbes) et juive. La guerre des partisans, sous les ordres de Tito, aboutit à la reconstitution d’une Yougoslavie après la défaite nazie. La personnalité du maréchal, devenu Président du Conseil puis Président de la République en 1953, offre une façade qui soude les différentes entités ethniques et politiques du pays, sans pour autant en effacer les tensions. La Constitution qu’il met en place en 1974 établit un compromis difficile entre les tendances fédéralistes des Croates et unitaires des Serbes. La mort de Tito en 1980 libère des contradictions qui n’avaient été que mises en sourdine. La décennie suivante est désormais analysée comme préparatoire aux guerres qui éclatent en 1991.
Une troisième et dernière temporalité, courte, met en exergue le contexte immédiat de cette guerre. Le premier facteur concerne la chute de l’URSS et du bloc de l’Est. Si la Yougoslavie titiste se singularise par son non-alignement, l’effondrement de l’URSS entraîne une reconfiguration des sphères d’influence sur le continent. L’Ouest appuyait les mouvements démocratiques et pouvait à bon droit penser les intégrer dans l’Europe de la démocratie libérale. À l’inverse, la fin du communisme soviétique interroge la pertinence de la survie du communisme en Yougoslavie. Certaines personnalités, comme Slobodan Milosevic, incarnent ce personnel politique qui trouve sa survie dans la transition du communisme au nationalisme. Le deuxième facteur se rapporte à la reconfiguration géopolitique européenne, alors en phase d’accélération.
François Mitterrand craint à l'époque que la réunification de l’Allemagne la détourne d’une communauté européenne qu’elle aurait considérée jusque-là comme un simple palliatif à sa perte de puissance et l’engage, dans le contexte post-guerre froide, à reconstituer une Mitteleuropa sous sa coupe. Il pousse donc à une reconnaissance rapide de cette réunification tout autant qu’à l’approfondissement de la construction européenne, par le biais de l’Union Économique et Monétaire. S’il réussit sur ce plan, il échoue sur l’appréciation de situation ; à la fois pour des raisons historiques et de culture politique, l’Allemagne et la France portent un regard différent sur la crise, qui explique pour partie les atermoiements européens, alors même que la définition d’une Politique Étrangère et de Sécurité Commune appartenait aux grands axes de l’approfondissement communautaire.
Un troisième facteur intervient dans la définition de la politique yougoslave de la France. Alors que la guerre du Golfe s’achève et que des enseignements importants doivent encore en être tirés7, le pouvoir exécutif se retrouve confronté à un nouveau conflit, sur le continent européen, dans une région qui demeure, pour ceux qui se souviennent de leurs cours d’histoire, comme l’espace d’où s’était mis en branle l’« engrenage des alliances » qui avait rendu apparemment inéluctable la guerre de 1914. L’attitude première de la diplomatie française est de rechercher le dialogue, une conciliation, alors que la violence va croissant en Croatie et en Bosnie-Herzégovine ; la France souligne dans un premier temps l’importance du respect du droit international et ne souhaite pas s’engager dans une démonstration de force ou dans une intervention militaire que le pays porterait seul.
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