CREC 6/7 - Le centaure américain contre « l’intelligence hybride » chinoise. Le soldat augmenté au prisme de l’interface cerveau-machine.
L’interface cerveau-machine incarne-t-elle une transition dans la manière de mener la guerre ? Un avantage disruptif, voire radical, qui permettrait de prendre l’ascendant sur l’adversaire ? Le sort de la guerre, des conflits du futur, se joue-t-il maintenant ?
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Ce document ne constitue pas une position officielle de l’armée de Terre.
Le centaure américain contre « l’intelligence hybride » chinoise. Le soldat augmenté au prisme de l’interface cerveau-machine.Introduction
En 2015, on pouvait lire dans la revue Wired qu’une jeune femme tétraplégique, Jan Sheuermann, avait piloté par la pensée un chasseur F-35 grâce à une interface cerveau-machine (ICM) (en anglais : Brain-computer interface - BCI) : la science-fiction devenait réalité. Avec un capteur composé de 96 microélectrodes implantées dans le cortex moteur, elle avait pris le contrôle d’un simulateur de vol. Cette expérience s’inscrivait dans le programme Revolutionizing prosthetics développé par la DARPA (Defense advanced research projects agency) qui a pour objectif de réaliser des prothèses de bras et de jambes pour les vétérans de l’armée américaine. Loin d’être une innovation radicale, il s’agissait d’un « saut » dans l’histoire de l’anthropotechnique : l’hybridation progressive de l’humain à la technique.
Dans cet article nous explorerons ce qui pourrait s’apparenter à une « montée en puissance stratégique », un déploiement progressif des pièces sur l’échiquier afin d’atteindre, au plus vite, « l’impérialisme stratégique » : maîtriser le centre pour sidérer l’adversaire. Pour ce faire, nous examinerons successivement l’émergence du concept du soldat augmenté, le champ des possibles de l’ICM envisagé par l’armée américaine puis nous comparerons ce modèle à celui de « l’intelligence hydride » chinoise.
Bifurcation
Le concept de soldat augmenté s’inscrit dans l’histoire longue de l’anthropotechnique qui vise non pas à ramener le sujet à une norme : la santé, ou réduire un état pathologique qui relève du champ thérapeutique, mais l’optimisation de ses capacités physiques, psycho-cognitives et perceptives qu’offrent habituellement la sélection, la discipline, l’entraînement intensif par la répétition et l’immersion progressive dans la « bulle de violence » afin d’avoir un avantage comparatif sur l’ennemi.
L’orientation première de l’anthropotechnique, qui consiste depuis l’Antiquité à repousser les limites du combattant avec l’usage de substances psychoactives, a été stimulée à la fin des années 1930 par l’usage des amphétamines et autres produits psychopharmacologiques comme le modafinil, un « éveillant » testé par l’armée française durant la guerre du Golfe en 1991.
Si depuis longtemps l’optimisation des capacités du soldat consiste à le stimuler par un vecteur chimique, de manière invasive, holistique, de façon plus ou moins hasardeuse avec des effets secondaires potentiels, il s’est produit à l’articulation du XXe et XXIe siècle, au sein de l’anthropotechnique, une « bifurcation » qui a pour objectif non de repousser les limites de l’humain, comme auparavant, mais de s’en affranchir.
Le soldat dit augmenté est en effet un concept récent. Il s’est cristallisé au sein d’une agence de recherche militaire singulière : l’Advanced research projects agency (ARPA) devenue DARPA en 1972 (le D pour defense a alors été ajouté). Cette institution a été fondée en réponse à un camouflet porté par l’URSS à l’idée de puissance des États-Unis : la mise sur orbite du satellite artificiel Spoutnik en 1957, qui préfigurait une combinaison potentielle entre la bombe thermonucléaire et les missiles intercontinentaux. Depuis, la DARPA vise non pas l’innovation incrémentale mais radicale : avoir un avantage technologique permanent sur d’adversaire, conjurer la surprise.
Á la croisée de problématiques issues des théâtres d’opération des guerres en Irak et en Afghanistan, d’une espérance quasi messianique fondée sur la convergence entre les nanotechnologies, biotechnologies, technologies de l’informatique et sciences cognitives (NBIC), le tout teinté de transhumanisme, un certain nombre de chercheurs iconoclastes ont commencé à explorer de nouvelles pistes au sein de l’anthropotechnique, forgeant des axes de recherche qui sont toujours d’actualité.
Grâce à des fonds dévolus à la guerre biologique, une menace bioterroriste alors omniprésente, notamment avec l’usage potentiel de la variole, la DARPA esquisse alors une nouvelle frontière inscrite dans le corps même du soldat. Au prisme de ce paradigme, on assiste au renouvellement d’une ligne de recherche amorcée dès les années 1970 : l’interface cerveau-machine.
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Auteur : Vincent Guérin, Docteur en histoire contemporaine, chercheur associé au CReC.
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