Stratégies et capacités militaires des puissances « secondaires » en Indopacifique. Le cas de Singapour et de l’Indonésie.

Direction : CCF / Publié le : 02 juin 2023

Puissances d’équilibre en Indopacifique, Singapour et l’Indonésie ont un rôle à jouer en matière de coopérations stratégiques et capacitaires notamment avec la France, dont le concept d’axe Paris-New-Dehli-Canberra est un élément clé de la politique étrangère d’Emmanuel Macron. Puissance terrestre fondée sur la conscription et la « technologisation » des forces, Singapour tire son épingle du jeu en étant un partenaire majeur des États-Unis dans la zone.

Le GBR Adrew Lim commandant le TRADOC et le GDI Matthew McFarlane, commandant adjoint de l'USARPAC © MINDEF Singapore, 6 juin 2022

L’armée de Terre Indonésienne, quant à elle, longtemps tournée uniquement vers la défense du territoire national, entame un rattrapage capacitaire pour être à même de répondre aux enjeux régionaux et à la montée en puissance de la Chine.

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Stratégies et capacités militaires des puissances « secondaires » en Indopacifique. Le cas de Singapour et de l’Indonésie.

L’indopacifique et plus précisément l’Asie du Sud-Est représentent un carrefour géopolitique. La zone est un axe stratégique situé entre le géant chinois, le sous-continent indien et l’Asie-Pacifique. Nouveau centre de gravité des relations internationales, l’Indopacifique constitue pour les États-Unis, à partir de 2005, un bastion militaire dont le contrôle permet de contenir l’expansion militaire chinoise dans la région. L’administration américaine en 2008, instaure ce « pivot vers l’Asie » et renomme le « commandement des forces américaines dans le Pacifique » (US Pacific Command, Pacom) en « commandement des forces américaines dans l’Indopacifique » (US Indo-Pacific Command, Indopacom). Cette évolution « reflète la connectivité croissante entre le Pacifique et l’océan Indien autant que la détermination de Washington à rester la puissance dominante ». L’alliance militaire AUKUS et l’affirmation agressive de la puissance chinoise en mer de Chine méridionale et orientale depuis 2010 bouleversent les équilibres régionaux. Face à cette montée des tensions dans la zone, Retno Marsudi, la ministre indonésienne des Affaires étrangères, a présenté en 2018, une vision sud-asiatique de l’Indopacifique fondée sur une coopération au sein de l’organisation régionale : l’Association des Nations de l’Asie du Sud-Est (ASEAN) visant à s’affirmer comme une puissance moyenne d’équilibre. Dans ce contexte géostratégique, quelles sont les caractéristiques des armées de Terre de Singapour et de l’Indonésie, puissances militaires d’équilibre dans la région ?

  1. Les enjeux militaires de l’Indonésie et de Singapour.
  • Un environnement stratégique incertain dominé par les nfluences chinoise et américaine.

La menace chinoise dans la région est une préoccupation majeure pour Singapour et l’Indonésie. Les zones économiques exclusives (ZEE) de ces pays, situés à un carrefour maritime stratégique entre le détroit de Malacca et la mer de Chine méridionale, représentent pour Pékin un intérêt militaire majeur. Depuis 2014, la Chine procède à la « poldérisation » d’îlots en mer de Chine méridionale. Les activités chinoises près des îlots indonésiens Natuna ont incité Jakarta à renforcer sa présence militaire dans la zone. Ainsi, en mai 2019, le président Joko Widodo a annoncé un nouveau plan de modernisation de l’armée nationale indonésienne (Tentara Nasional Indonesia - TNI) à l’horizon 2044 pour un coût de 125 milliards de dollars.

L’influence américaine, renforcée par la signature de l’alliance AUKUS, est aussi une source d’inquiétude pour les deux pays, face à ce qu’ils perçoivent comme une « dynamique d’entretien d’une course aux armements ». Par le passé, les pays de l’ASEAN ont toujours œuvré pour réduire l’impact d’acteurs extérieurs à la région, gage à leurs yeux de stabilité et permettant de préserver une centralité en Asie du Sud-Est. L’Indonésie et Singapour craignent une fuite en avant dans la compétition stratégique entre grandes puissances, qui pourrait leur être dommageable. En outre, l’AUKUS vient contrecarrer la vision indonésienne du concept d’Indopacifique ou les questions de coopérations régionales sont un maillon essentiel. « L’AUKUS développe au contraire une vision et un ordre régional stratégique dominés par des pays occidentaux, marginalisant de fait l’ASEAN et l’Indonésie ». Enfin, cette alliance « occidentalo-centrée » diminue l’intérêt stratégique de l’Indonésie et de Singapour à rejoindre des instances de coopérations militaires telles que le QUAD, en raison de la nature « hard power » de l’alliance AUKUS. Cela conduit à une « hiérarchisation entre alliés et partenaires des États-Unis, avec un accès (ou non) à des coopérations s’appuyant sur des transferts de technologies sensibles. Or, à première vue, les pays de l’ASEAN ne font pas partie du cercle des acteurs stratégiques privilégiés, à l’exception de Singapour dans le domaine de la cyber sécurité ».

Ainsi, en polarisant les postures défensives des acteurs régionaux, l’AUKUS accroit la possibilité de voir la Chine renforcer son emprise sur la zone. Pour Singapour et l’Indonésie, en filigrane de l’AUKUS, c’est la tension croissante entre la Chine et les États-Unis qui inquiète, notamment avec le recours à l’usage de la force et à des stratégies hybrides par la Chine...

 

Auteur : Eva Micheletti, rédactrice au pôle études et prospective.

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