Entretien avec le colonel Bertrand Guillotel, commandant l’école du renseignement de l’armée de Terre (ERAT), désormais sous le commandement du Pôle formation de l’armée de Terre
Depuis l’été 2023, l’ERAT est rattachée au Pôle Formation de la Direction des ressources humaines de l'armée de Terre (DRHAT). Le transfert de cette école d’application répond, tout comme celui des autres écoles d’arme, à un objectif de renforcement de la cohérence des parcours de formation et de carrière des militaires de l’armée de Terre.
Intégrée au sein des écoles militaires de Saumur (EMS) depuis sa création en 2002, l’ERAT forme les cadres et militaires du rang de l'armée de Terre aux deux métiers du renseignement que sont l’exploitation et la recherche. Pour ce qui est de la recherche, elle reste sur les segments élémentaires de la recherche humaine et du renseignement de sources ouvertes destinés aux unités non-spécialisées. Rencontre avec son commandant, le colonel Bertrand Guillotel.
Colonel, pourriez-vous nous présenter l’école du renseignement de l’armée de Terre ainsi que ses ambitions ?
L’ERAT est une jeune école, créée en 2002 sous le nom de centre d’enseignement et d’études du renseignement de l’armée de Terre (CEERAT) qui prend son nom actuel en 2018. Lieu de convergence du personnel des forces terrestres, qu’ils soient spécialisés ou non, recherchant des compétences en renseignement, l’ERAT est devenue le véritable creuset de la formation dans ce domaine. Elle porte l’ambition de diffuser très largement la culture du renseignement au sein de toute l’armée de Terre.
Elle forme aujourd’hui près de 1 000 stagiaires par année académique : exploitants du renseignement, lieutenants qui font le choix d’une unité capteurs (appartenant au CAPR* ou au CAST**), futurs commandants d’unité et chefs de corps du domaine « renseignement » (RGE), personnel de la chaîne du renseignement, ils sont nombreux à passer par l’ERAT. L’école forme également les capteurs des forces terrestres non spécialisés aux techniques de recherche élémentaire : recherche humaine élémentaire et intermédiaire, recherche numérique élémentaire et prise de photos dans un cadre opérationnel.
L’ERAT porte une attention toute particulière à la formation des analystes de l’armée de Terre, qui ont la responsabilité de rendre intelligible et exploitable le renseignement. C’est pourquoi, outre la création des formations de cursus pour les sous-officiers et militaires du rang, elle a intégré dans sa division d’application un cours « exploitation » qui accueille les lieutenants de cette filière, pour une durée de quatre mois à près d’un an, suivant leur statut.
L’ERAT se distingue également par une pédagogie qui se veut pragmatique, faisant la part belle aux exercices et mises en situation pour stimuler intellectuellement nos stagiaires, formés à recueillir ou à analyser en situation d’inconfort et de fatigue. Elle donne la priorité à la connaissance d’un ennemi réaliste, inspirée directement de l’évolution du contexte géostratégique. Elle encourage aussi à l’utilisation systématique des bases de données, quel que soit le contexte d’engagement, et à la maîtrise de l’info-valorisation. Elle s’appuie pour cela sur des outils de simulation de plus en plus performants. Demain, elle ambitionne d’intégrer dans ses formations l’utilisation maîtrisée de l’IA.
Comment l’ERAT s’inscrit-elle dans la transformation de l’armée de Terre ?
Elle joue un rôle déterminant dans ce contexte puisqu’elle est au cœur de l’opérationnalisation de l’armée de Terre ; elle inscrit son action de trois manières :
- elle forme les exploitants du renseignement acculturés non seulement aux enjeux du théâtre centre-europe, mais aussi aux défis posés par les compétiteurs déclarés du modèle occidental. elle intègre aujourd’hui la haute intensité à toutes les formations, dont les exercices impliquent systématiquement un adversaire symétrique, et la réappropriation de savoir-faire hérités de la guerre froide et négligés dans le contexte de la contre-insurrection ;
- elle appuie l’engagement des forces terrestres en proposant des exercices, en offrant la possibilité de développer une base de données structurées au sein des états-majors, en contribuant aux missions opérationnelles et aux détachements d’instruction opérationnelle à vocation renseignement ;
- grâce à son « labo innovation », elle participe au développement des systèmes d’information spécifiques du renseignement, en s’assurant de leur interopérabilité et en étudiant l’optimisation de leur emploi avant intégration dans les formations.
L’ERAT joue donc dans ce contexte un triple rôle :
- de formateur, essentiel tant pour les trois niveaux de commandement que pour les unités des forces, avec la formation d’une génération d’opérateurs et d’exploitants conscients des menaces actuelles, rompus aux techniques d’analyse et ouvert à la connaissance de nos adversaires potentiels ;
- de fédérateur, en tant qu’échelon de cohérence d’un réseau de centres de formation aux métiers spécifiques du renseignement ;
- d’incubateur d’idées pour tester de nouveaux exercices, de nouvelles procédures ou de nouveaux procédés, afin d’améliorer et accélérer la boucle de décision.
Enfin, l’ERAT intègre dans ses formations la dimension « forces morales », en cherchant à pousser le plus loin possible les capacités de résistance et de résilience de nos stagiaires. Ceux-ci apprennent à mener une réflexion dans les conditions les plus rustiques, en situation de stress et de fatigue.
Les défis de la formation
Pour demeurer une école d’excellence, l’ERAT doit relever plusieurs défis : celui de l’augmentation des flux de stagiaires qui vont croissant, celui de l’intégration des nouvelles pratiques pédagogiques, celui de la maîtrise d’outils techniques toujours plus performants, enfin celui d’être constamment en phase avec les besoins des unités opérationnelles et les nécessités des conflits actuels et futurs.
Il est donc indispensable que les cadres qui composent le « corps enseignant » de l’ERAT et qui sont généralement très expérimentés, soient bien formés, à la fois pour maîtriser des méthodes pédagogiques éprouvées, mais aussi pour savoir de quoi ils parlent. Il me paraît indispensable que l’ERAT, qui est désormais rattachée au POLFORM, soit « connectée » en permanence avec le monde des forces opérationnelles pour que son enseignement ne soit pas obsolète. C’est la raison pour laquelle les cadres de l’école participent régulièrement aux missions opérationnelles et visitent, voire sont partie prenante, des grands exercices tactiques.
Nous n’oublions pas aussi que nous sommes des combattants de l’armée de Terre, ce qui nous oblige tous à nous maintenir en condition opérationnelle, afin d’être prêts à être engagés s’il le fallait.
*CAPR : commandement des actions dans la profondeur et du renseignement
**CAST : Commandement des actions spéciales Terre
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