Pourquoi différencier ?

L’attaque russe contre l’Ukraine ravive un dilemme récurrent dans l’organisation et l’équipement des armées, entre capacité de choc et aptitude à la projection de puissance ou de feu. Entendue comme le fait de « distinguer par une différence », la différenciation y répond en permettant d’agir sur toute la largeur du spectre pour contrer la plus vaste gamme possible de menaces.

Commandos parachutistes à l'entraînement. Saut par tranche arrière © DR

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Pourquoi différencier ?

Mis à jour : 5 avril 2022.

 

Par : Colonel Emmanuel Meyer, Chef de la direction des études et de la prospective « commandement ».

 

Dans un environnement géopolitique instable et conflictuel, cette pratique met en adéquation le discours, la posture et les moyens pour donner à une puissance à vocation mondiale comme la France, crédibilité et autonomie stratégiques.

L’attaque russe contre l’Ukraine montre s’il en était encore besoin que la menace d’un conflit entre puissances ne relève pas de la pure spéculation. La capacité à pouvoir encaisser un choc militaire puis à riposter d’abord par une manœuvre conventionnelle retrouve donc toute son importance, quand deux décennies d’expéditions de police avaient pu laisser croire que la légèreté et la flexibilité devaient désormais primer.
Le dilemme récurrent en matière d’organisation des armées, entre capacité de choc et aptitude à la projection de puissance ou de feu, retrouve donc une nouvelle acuité. La différenciation des unités dans leur équipement comme dans leurs aptitudes y apporte une réponse, au premier chef pour la composante terrestre.

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Si l’on se réfère au sens courant , différencier revient à « distinguer entre des choses, des personnes, distinguer par une différence ». C’est dans cette acception qu’il faut l’entendre militairement : la différenciation consiste à créer et entretenir des unités de pied distinct. Ce distinguo vaut pour les rôles exercés, l’équipement et l’entraînement. Enfin, puisqu’elle conditionne les aptitudes particulières, la différenciation induit une forme de spécialisation.

Accroître les aptitudes manœuvrières des unités.

 « La géographie, cela sert d’abord à faire la guerre » répétait à l’envie le géographe Yves Lacoste. De toute évidence, la confrontation est indissociable d’un cadre géographique déterministe. Cela vaut tout particulièrement pour le milieu terrestre qui exerce ses contraintes non seulement sur les opérations, mais aussi et surtout sur les hommes et le matériel. La différenciation permet de s’en affranchir, au moins d’en gommer une partie.
Considérons pour l’illustrer le cas des engagements en montagne. Ce milieu particulièrement compartimenté et exigeant conditionne plus que fortement la vie en campagne, la mobilité ou encore le tir. Appelées à combattre dans cet environnement, les troupes de montagne sont donc équipées des matériels individuels et collectifs leur permettant de remplir leur mission « en tous temps et en tous lieux ». Outre la vêture et le matériel d’alpinisme, elles ont très tôt été dotées pour faciliter leurs mouvements : cacolets, téléphériques de campagne ou véhicules chenillés ont longtemps figuré à l’inventaire et continuent de le faire, … de même que les mules, dont l’armée de Terre se réapproprie l’emploi quand les Gebirgsjäger allemands les avaient obstinément conservées.
Ces mêmes troupes s’entraînent au combat certes dans les conditions et normes valant pour toute formation terrestre mais aussi plus spécifiquement, pour agir en montagne puis par extension, dans les milieux de froid extrême. Leurs aptitudes tactiques s’en trouvent accrues. C’est parce que les artilleurs du 154e régiment d’artillerie de position maîtrisaient parfaitement le service de leurs obusiers de 280 mm dans les conditions particulières du tir en altitude qu’ils purent le 21 juin 1940, en moins d’une journée, neutraliser le fort italien du Chaberton.
Ces considérations sur l’entraînement valent non seulement pour des unités créées pour agir dans un milieu particulier mais aussi conjoncturellement pour celles amenées à s’engager plus ponctuellement dans un cadre spécifique. La mise en condition préparatoire (MCP) à une mission opérationnelle répond à cet objectif. Il s’agit de faire acquérir à tous les éléments contextuels pour appréhender correctement la situation et les compétences ad hoc pour agir et réagir opportunément. A l’évidence, s’engager dans une mission de sécurité générale sur le territoire national ou dans une opération menée à l’extérieur des frontières contre un adversaire armé ne requiert pas les mêmes savoir-faire. Différencier par l’équipement et par l’entraînement permet donc d’élargir et d’accroître le potentiel opérationnel d’une unité pour gagner en efficacité tactique...

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