La prospective militaire à l'étranger : approches nationales occidentales, tendances, enjeux

Dans un contexte de multiplication des crises et de retour de la compétition internationale, la prospective apparait de plus en plus pertinente pour anticiper les mutations de la conflictualité. Les approches diffèrent sensiblement selon les pays. En termes d’organisation, certaines armées s’ouvrent progressivement à plus de coopération interministérielle, internationale, et avec le monde civil. En termes de méthode, elles s’appuient sur des procédés éprouvés mais cherchent davantage à innover.

Général John M. Murray de dos, général Mark A. Milley, le sergent-major Michael A. Crosby de côté. © DR.

De droite à gauche, le général Mark A. Milley, le chef d'état-major de l'armée américaine (de face), le général John M. Murray, commandant le Commandement des armées futures (de dos), le sergent-major Michael A. Crosby, conseiller supérieur enrôlé du IIIe corps (de côté).

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Note de recherche - La prospective militaire à l'étranger : approches nationales occidentales, tendances, enjeux

Mis à jour : 16 juin 2022.

Auteur : Monsieur Louis Campagnie, rédacteur au pôle études et prospective.

 

Introduction

La prospective stratégique est « une approche systématique permettant d’aller au-delà des attentes actuelles et de prendre en compte une variété d’évolutions futures plausibles afin d’identifier les implications pour les politiques actuelles ». Elle est pluridisciplinaire, adressant des champs variés : sociologie, relations internationales, data science, etc. Cette note se penche sur la prospective militaire, c’est-à-dire celle qui consiste à imaginer le futur des armées, des menaces, de la conflictualité et, plus généralement, du fait militaire. Interconnexion oblige, les travaux de prospective qui étudient les enjeux sécuritaires ayant un lien un peu moins direct avec la sphère militaire ne sauraient être écartés.

Sur le Vieux continent, on observe une corrélation entre le niveau d’investissement dans la défense et l’intérêt des armées pour la prospective. La Belgique a dépensé 1,12 % de son PIB dans la Défense en 2021. C’est le plus bas taux de l’OTAN devant le Luxembourg et l’Espagne. Comme l’écrit Yves Boyer, « Les questions liées à la défense restent en Belgique un domaine périphérique, peu porteur en termes de visibilité politique. Elles sont, de la sorte, souvent traitées de façon non-prioritaire par les décideurs politiques ». Dans ce contexte culturel et financier, il n’est pas si surprenant de voir que les moyens mis dans la prospective de défense ne semblent pas très conséquents. La culture militaire d’un pays pourrait donc être l’un des déterminants du niveau d’investissement dans la prospective de défense. Un autre critère pourrait être l’importance de la notion d’indépendance stratégique dans un pays. La France et le Royaume-Uni, les deux pays qui tendent le plus à assumer leur rôle de puissance dans le monde et en Europe, ont une pratique ancienne et constante de la prospective de défense. La Finlande, qui ne fait pas partie de l’Alliance atlantique et est voisine d’une Russie considérée comme dangereuse, s’y emploie également. À l’inverse, la Belgique, si elle s’investit considérablement dans la prospective dans d’autres domaines (économie, technologie civile, etc.), n’a pas de cellule dédiée à la prospective au sein de ses institutions militaires.

On constate aujourd’hui un regain d’intérêt pour la prospective au sein des institutions militaires et du monde de la défense. En reprenant l’exemple de la Belgique, il semble que les autorités du pays aient saisi l’importance des enjeux d’anticipation. Dans la Vision Stratégique 2030, il est fait référence à la nécessité de créer une cellule dédiée pour « investir dans la prospective stratégique à un niveau structurel ». La multiplication des crises (pandémie, Ukraine), plus ou moins prévisibles, a remis sur le devant de la scène l’incapacité des États à anticiper les événements aux répercussions majeures, parfois catastrophiques. De plus, les préoccupations alarmistes quant à « l’affolement du monde », qu’elles relèvent de la peur d’un conflit mondial ou de considérations environnementales, tendent à renforcer cette dynamique. Plus actuel, le retour de la guerre en Europe a révélé combien les logiques de stricte rationalité ne permettent pas aux États de se préparer correctement aux différents futurs possibles (futuribles, si l’on reprend la formule célèbre de Bertrand de Jouvenel) face à l’hubris décomplexée de certains rivaux.

Dans ce contexte, entre similarités, différences, évolutions et stagnation, il est important de s’intéresser à la manière dont les autres États pratiquent la prospective de défense. Cette étude porte principalement sur les membres de l’Union européenne et de l’Organisation du traité de l’Atlantique nord (OTAN). D’autres pays - comme le Brésil - avec qui la France entretient des coopérations importantes en matière de défense, seront aussi abordés. Dans un premier temps, il sera question de l’organisation de la prospective de défense dans ces pays, et donc des acteurs. Ensuite, il s’agira d’aborder l’approche qu’ont ces pays de la prospective et les méthodes qui sont utilisées. Cette note de recherche s’appuie essentiellement sur des documents en sources ouvertes. À cela s’ajoutent les réponses d’experts travaillant dans les armées étrangères à un questionnaire préparé pour l’occasion. Ce travail ne prétend pas à l’exhaustivité et reste limité à quelques pays.